Plutôt qu’un bilan, c’est un cadeau.
Celui des participants de l’atelier d’écriture qui m’offrent leurs textes pour partager ici ce recueil.
Dire : « les partager au monde » serait prétentieux, et pourtant c’est bien là leur démarche. Dans un atelier d’écriture il y a deux étapes essentielles à la mise au monde du texte : sa mise en voix, et sa confrontation au monde, au regard extérieur.
Ces textes, moi, je les trouve très beaux. Ils sont pour moi le reflet de chacun des participants. Ils sont pour moi une explosion, un crèvement, et une amorce à leur prise de liberté face à l’écriture.
Ai-je besoin de préciser ma fierté de les voir produire ces textes ?
« Je voudrais pas crever »
Crever, Boris, j’y ai souvent pensé.
J’ai pas pensé à ce que j’allais rater ...
J’ai pensé à ce que j’allais larguer.
Les amarres, tu sais, c’est lourd parfois.
Mais je dois bien t’avouer qu’à chaque fois,
Je me ravise.
Je me dis...ouai...
Je voudrais pas crever avant d’avoir mangé.
Mourir le ventre vide, ça non merci.
Je voudrais pas crever avant d’avoir étendu le linge,
Après ça sent le moisi.
En parlant de moisi...
Je voudrais pas crever tout court,
Il paraît que c’est infecte.
Alors, voilà, j’ai pas vraiment de désir.
Ce que je veux savoir, je le sais.
Ce que je veux vivre, je le vis.
Pour toutes tes autres questions,
Y a Google maintenant.
Peut-être parce qu’on vit dans un monde sans surprises.
En fait, Boris, je crois...que je voudrais pas crever avant d’avoir vécu.
L’amour, la haine, la souffrance, la colère.
Tout est bon à prendre.
Tout est matière à vivre.
On est juste de passage.
Je voudrais juste pas crever d’ennui
Avant que la mort arrive.
Je voudrais pas me conformer à la norme,
Juste par peur.
Je voudrais bien me rencontrer, vraiment,
Savoir qui est cette vieille âme qui m’habite parfois.
Le chemin est tellement long,
Je crois que tout ce qu’on ne fait pas...
Est comme une petite mort.
Et avec le temps,
On devient un cadavre bien vivant,
Voilà, je voudrais juste...pas crever comme ça, Boris.
(Anonyme)
***
On tourne
Bobine d'images crachée par un projecteur fatigué,
carlingue aplatie en pâte à modeler,
roseaux pliés à l'unisson d'un même enchantement,
ruisseau qui bondit vainement d'une pierre à l'autre,
écume en quête désespérée de son essence,
forêt pétrifiée par la peur de l'aube.
Ma portée étire ses lignes désertées,
glissant vers le silence de ton amour perdu.
Gilles
***
Je voudrais pas crever avant d’avoir vu ta p’tite gueule d’enfoiré
Qui me demanderait pardon sans avoir l’air d’y goûter
Et de m’entendre dire que c’est bien mais trop tard
Et de t’imaginer mourir tout seul dans le noir
Je voudrais pas crever avant de les avoir vu brandir
Leur courage et leur rire à la figure du monde
De reprendre leur fierté, de se noyer dedans
Parce qu’iels ont trop pris pour ne pas broyer le temps
Et y aurait comme dans l’air de cet amour juste
Qu’on réserve aux grands êtres qui se drapent de nos nuits
De nos rêves, de nos douceurs, pour soi, et aux autres
Je voudrais pas crever avant d’avoir vu les baleines
Une fois encore fendre la mer
Leur dos noir qui scintille à la lumière
D’un grand soleil froid vibrant au ciel
Je voudrais pas crever avant d’avoir senti la corde
Mordre mon coup et marqué mes poignets
Et de voir ton regard, chercher dans mon corps
L’apaisement de douleur de l’instant contraint
Et il y aurait comme dans l’air encore cet amour juste
De l’absolu du moment qui n’existe que maintenant
Ici, là, nulle part parce que vivre c’est mourir et qu’on ne meurt jamais vraiment
Eva
***
Le poivre
Je ne voudrais pas mourir avant d’avoir aimé. Aimé, goûté, léché, posé mes lèvres sur la vue, sa saveur et son suc. La sentir à pleine dents, la renifler dans mes reins. La matière, celle qui dérouille, débrouille, chatouille, grenouille. Les flocons de musique d’un Dimanche pluvieux. Les giboulées d’une dispute dans le métro. Les rayonnements d’un chocolat chaud. Les effeuillements du croissant.
Je ne voudrais pas mourir avant d’avoir observé le lever du soleil sur les toits, ses teintes mordorées, roses et bleutées. M’assurer que chaque tableau est saisi dans la chambre noire de mon cœur. Je voudrais découvrir l’immensité du ciel, toucher du doigt les étoiles. 1, 2, 3, 3000, 10000…
Inéluctables passés.
Je ne voudrais pas laisser derrière moi la sensation que tout s’efface.
Mourir brûlée, étouffée, torturée, violée, assassinée sur le champ de bataille de mes humeurs, je voudrais pouvoir vivre toutes ces morts-là.
J’ai déjà les cheveux poivre et sel.
Emmy
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