D’une vue à l’autre…
Jamais nous n’avons été aussi enfermé. Même les fenêtres ouvertes, on suffoque. Vue statique, angle figé, morne répétition du quotidien.
Fenêtre sur rue, sur cour, sur océan, sur route… Voyagez sans enfreindre les règles du confinement.
Regardez par la fenêtre d’un autre. Un doux rêve voyeuriste ? C’est bien possible. Ou simple mécanisme d’évasion.
En atelier d’écriture, alors que l’on venait d’accueillir ou plutôt de prendre en plein estomac l’annonce d’un troisième confinement, j’ai proposé aux participants de s’évader.
De sortir de leur cuisine, de leur salon, de leur chambre, de leurs appartements parisiens, de se déshabiller, de mettre un ciré, des lunettes de soleil et des bottes, ou au contraire de s’emmitoufler dans un plaid en polaire. Je leur ai demandé de sortir de chez eux !
De se tirer, de prendre la poudre d’escampette, la tangente.
Pour ça, on s’est un peu aidé de ce logiciel : WINDOW SWAP
Comme à la roulette russe, il jette les dés du hasard. Et ouvre une fenêtre dans le monde. Oui, littéralement on peut voir depuis la fenêtre d’un autre : installé dans un salon en Russie, depuis la véranda d’une maison à Los Angeles ou la vue sur un patio à Rome.
Voici ce qu’ils ont vu depuis leurs fenêtres aux quatre coins du monde.
Une fenêtre à Los Angeles
Je me suis assise sur la terrasse pour déguster mon café et les observer. Derrière les arbres, je distingue leur maison, une grande villa rose au toit de brique, et une voiture, noire et luisante. Tiens, cela doit être des amis. Au loin, la mer plate, immobile, comme plombée par le gris du ciel. Il faut chaud, humide, mais pas vraiment beau. Ce genre de météo qui vous fait vous déplacer de manière lente et sourde. Un oiseau passe, aucune agitation. Je me demande ce qu’ils font. Nous sommes un genre de jour de semaine, normalement ils travaillent. Un rendez-vous d’affaire ? Une maîtresse ? Ils ont toujours été trop polis pour être vrais. Je me lève, rien ne se passe, je retourne à mes occupations.
Gaëlle
Par la fenêtre
La cascade de toits d’une demeure coloniale tombe sur une pelouse parfaitement entretenue qui
glisse sous le mat d’un drapeau. Derrière la pelouse, une route sur laquelle une file de voitures défile
lentement au soleil. Puis deux arbres, un ruban de plage, et l’étendue de l’océan, qui égraine ses
rides jusqu’à l’horizon.
Le drapeau frémit mollement en haut de son mat.
Tout respire la quiétude et l’opulence sous un ciel reposé.
Nous sommes en Californie.
Gilles
Fenêtre sur le Monde
J’ai suivi le chat
Il s’est installé devant la fenêtre
Bien sûr pas tout de suite
Il a d’abord fait le tour du salon
Doucement, comme pour vérifier que tout était en place
Puis, il s’est posé, délicatement sur un coussin devant les vitres
Que regarde-t-il ?
Peut-être est-il concentré comme moi sur la danse des peupliers du voisin
Ça tangue, ça se frôle de partout
Pourvu que le vent annonce la pluie
Six mois sans une goutte
Les récoltes ont soif
Le bout de ciel bleu mène son combat mais les nuages l’entourent
Le chat ne quitte pas ce spectacle des yeux
Est-il pour la pluie ?
J’ai l’impression que oui
Les mulots aiment le sol mouillé et il le sait
Immobiles, ensemble, nous attendons
Immobiles, ensemble, nous espérons
Les premières gouttes d’eau tapent à la fenêtre
Puis l’averse se déchaîne
Fière d’avoir gagné sa place
Nous nous regardons
Je sais que nous avons aidé la pluie
Valérie Stival
Fenêtres sur le monde
Le soleil rentrait dans la chambre, et même les volets gris ne pouvaient pas nous protéger de cette lumière. Elle nous a d’abord chatouillé le nez, puis les yeux. On avait beau se cacher sous le drap pour prolonger la douceur de nos rêves, mais cette ville en a décidé autrement. Dans la rue, deux femmes parlaient si fort qu’on avait l’impression qu’elles étaient juste là, au-dessus de notre fenêtre.
Et pourquoi crient-elles si fort ? Allez, vas-y… vas regarder ce qu’il se passe là-bas. Il se peut qu’il y ait un incendie. Sinon, pourquoi ces hurlements ?
Bon, ok, j’y vais.
J’ouvre la fenêtre, et leurs voix prennent encore plus de puissance, plus d’espace. Elles remplissent cette petite chambre à la fois d’inquiétude et d’incompréhension. Je pousse ces volets gris qui, sans attendre, me résistent en grinçant terriblement. La lumière m’aveugle d’un coup, ma tête va exploser. Le blanc d’hier soir y est sûrement aussi pour quelque chose.
Ah oui, cette soirée qui ne voulait pas s’arrêter... La recherche interminable du resto conseillé par notre hôtel. Il fallait traverser la ville pour ne pas manger dans un restaurant à touristes lambdas.
Ces rues piétonnes où même Google maps se perd facilement. Oui, ok, je ne voulais pas rater les églises sur la route. Mais tu as vu, ce ne sont pas des églises, mais des musées entiers avec ces fabuleux tableaux de Raphaël et sculptures de Michel Ange. Comment peut-on passer à côté ?
Et ce délicieux dîner servi par le propriétaire du restaurant. Le pauvre… tu crois qu’il a saisi que je ne comprenais pas un mot de ce qu’il disait ? Ses yeux étaient si beaux que je me fichais complètement de ce que j’allais manger. J’allais me noyer dans ses yeux ou dans le blanc qu’il me servait, peu importe !
Et ce concert improvisé aux abords de la fontaine de la petite place Piazza della Madonna dei Monti ? Ces voix, ces chants, ces italiens, ils me tournaient la tête… J’ai trop bu ? Sûrement, et voilà le prix à payer !
Cette matinée qui remplit la chambre de la lumière éblouissante, ces rues qui plongent dans les bruits des italiens, sûrement les moins silencieux du monde, cette majesté des monuments. Cette ville ne veut pas me lâcher jusqu'à la dernière minute.
Tatyana
Si vous aussi vous voulez vous balader de fenêtre en fenêtre, actionnez la roulette : « show a new window »
PS : je n’ai pas d’action pour cette application mais j’ai trouvé que c’était un formidable outil d’évasion ! Et par dessus tout, un excellent prétexte à partager les textes des formidables écrivants que j'accompagne.
Vous aussi vous voulez libérer votre écriture ? Laisser aller le stylo, explorer vos intérieurs et déplier le texte ?