Lola Sorrenti
Conseil éditorial à Paris 10

Le goûter-atelier d’écriture pour enfants


Faire une pile avec quelques feuilles de papiers, disposer les carnets en éventail coloré, poser le pot à crayon au centre de la table, sortir les cookies du four… 13h50, voilà, tout est prêt.

 

Ding dong. J’ouvre la porte. Rim, accompagnée de sa maman, me lance son sourire franc et malicieux. Schrounch, schrouch, elle plonge sa main dans un paquet de chips. La maman s’excuse, elles terminent de manger. Elles viennent de loin, je suis flattée.

Puis c’est au tour de Clément, que je connais un peu. Timide, un peu distant. Je vois bien qu’il se demande ce qu’on va bien pouvoir faire dans un atelier d’écriture. J’ai à peine le temps de les accueillir et de leur offrir un verre d’eau que c’est au tour d’Héloïse d’arriver, avec son papa. Elle semble sage et discrète.

 

Nous nous installons. J’ai un trac fou, que je balaie très vite. Il faut se concentrer. Les enfants me regardent avides. Je ne sais pas si j’ai plus peur des enfants ou de leurs parents.

 

Pour briser la glace d’être des inconnus autour d’une table, nous commençons un petit jeu avec des questions de personnalités. Tout le monde est timide, personne n’ose trop rien dire… Alors je challenge les enfants de trouver la meilleure qualité et le pire défaut de leur parent présent. Comme une bombe, l’un d’eux lâche : « mon père boit trop de bière, c’est son défaut »… Éclats de rire. On vient de briser la glace.

 

J’observe leurs petits cerveaux se mettre en marche et aller de plus en plus vite. On entre dans le vif du sujet, raconter une histoire. Ils sont brillants tous les trois, et savent me restituer un schéma narratif. Mais je voudrais leur faire lâcher le cadre scolaire, et les amener plus loin dans l’imaginaire. Les parents les aident. Mais l’imaginaire des adultes, c’est bien connu, est tellement verrouillé. Alors, on avance à tâtons. Je leur ajoute des contraintes. J’essaie de les amener vers ce qui semble être le moins leur zone de confort pour qu’ils dépassent ce qu’ils se croient capable de faire.

 

Au bout d’une heure et demie, voici où nous en sommes : une princesse devenue une mouche poilue aux yeux jaunes et rouges tombe dans les toilettes. Chubi s’est rasé tout le pelage et souffre d’une gastro. Et la licorne Lola (oui, oui je m’en sors bien pour cette fois) est éprise du zèbre bleu ; ensemble ils montent un complot.

Je suis obligée de prendre des notes pour suivre leurs histoires rocambolesques. Ils s’animent quand ils parlent, s’agacent quand j’oublie un détail de leur récit ou me trompe sur le nom de leur héroïnes. Ils sont dedans, il y croient. Certains accompagnent leur histoire de dessin. Mention spéciale à Chubi sans poil et tout vert, accompagné du docteur Biboumouche.

 

Après le goûter, nous nous amusons à un dernier jeu d’écriture. Nous faisons la liste de nos bêtises. Après l’excitation dans leur regard quand j’énonce la consigne, je vois l’inquiétude dans le regard coquin de Rim qui imagine déjà sa longue liste de bêtises. Le calme dans celui d’Héloïse qui se demande bien lesquelles raconter, elle qui est si sage. Et l’air dubitatif de Clément sur ce jeu. Rim se penche à mon oreille et me demande que faire si c’est une bêtise encore jamais avouée aux parents ? Alors, on passe un pacte, petits et grands. Tout ce qui sera dit dans la liste des bêtises, ne pourra pas être motif de punition. Soulagement pour les enfants. Étrangement leur esprit vient d’ouvrir le robinet à souvenirs : ils se souviennent d’une tonne de bêtises. Je vois les parents faire des moues horrifiées et contenir la réprimande.

 

C’est sur cette malice qu’il est déjà l’heure de nous quitter. Le trac revient tout à coup en boomerang. J’espère qu’ils se sont bien amusés, je crois que oui.

 

Je ferme la porte derrière le dernier et m’affale sur une chaise. Mes yeux se posent sur ma feuille, celle où j’ai griffonné des notes de leurs histoires. Je lis : licorne, aime les pommes et les concombres, Chubi vert rasé gastro, Zanzibar, Aude la mouche, poils longs, cucurbitacée… Je ris pour moi-même. Je me dis que c’est encore un truc d’adulte ça. Un enfant ne rit pas pour lui-même, mais toujours pour et avec les autres. Il rit à gorge déployée ou ne rit pas.

C’était une chouette après-midi en loufoquerie.



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